L'ordonnance de référé dans l'affaire "Sardou",
relative à la numérisation puis diffusion en ligne d'oeuvres
musicales, rendue par le tribunal de grande instance de Paris, le
14 août 1996, autorise les défendeurs à publier dans la
presse, le texte suivant : "toute reproduction par
numérisation d'oeuvres musicales protégées par le droit
d'auteur; susceptible d 'être mise â la disposition de
personnes connectées au réseau Internet, doit être
expressément autorisée par le titulaire ou le cessionnaire des
droits". Cette décision de référé a été encore
renforcée dans une deuxième affaire jugée le même jour par le
tribunal de grande instance de Paris : affaire "Jacques
Brel" dont des textes et extraits de chansons ont été
diffusés sur Internet sans autorisation des titulaires de droits
sur ces oeuvres.
Ces décisions confirment que la protection des droits d'auteur
sur Internet doit être appliquée et respectée, quel que soit
le moyen de reproduction et/ou de représentation à venir; au vu
de l'évolution de la technologie dans le domaine des
télécommunications, ce dont on peut se réjouir.
Une fois rappelé que le code de propriété intellectuelle (CPI)
s'applique pleinement aux réseaux de télécommunication, sont
à prendre en compte les principes de ce code comme les
exceptions. Parmi ces exceptions, se trouve le droit de citation
des oeuvres dont les auteurs ne peuvent interdire la reproduction
et représentation au sens de l'article L 122-5 CPI, pour autant
que les conditions d'application de cet article soient
respectées.
Toute
exception est à interpréter de façon restrictive et la
jurisprudence en la matière a confirmé ce principe en
réduisant le droit de citation essentiellement au domaine
littéraire. En effet, le droit de citation d'oeuvres d'art a
été dans l'ensemble(1) écarté par la jurisprudence.
En
matière de reproduction totale de paroles d'une chanson faite
sans l'autorisation de son auteur, le tribunal de grande instance
de Paris a déjà indiqué dans un jugement rendu le 6 juin 1996,
que cette reproduction ne pouvait relever du droit de citation(2). Dans
l'affaire "Brel" mentionnée ci-dessus, s'il s'agissait
bien d'extrait de chansons, il aurait été intéressant
d'analyser Si, dans chaque cas d'espèce, les conditions
d'application de l'article L 122-5 CPI étaient ou non réunies,
puis de voir s'il y avait lieu d'accepter son application.
Dans
le domaine musical, aucune décision permettant de créer une
jurisprudence en matière de citation d'oeuvres musicales,
n'était intervenue à notre connaissance, jusqu'à l'affaire
"Dutronc et autres ci Société Musidisc"(3).
Dans cette affaire, avait été utilisé, à des fins
publicitaires, sans autorisation expresse des auteurs, un extrait
de la chanson Et moi, et moi, et moi, composée et interprétée
par J.Dutronc (paroles de J.Lanzmann), en vue de la promotion
d'une compilation dans laquelle était incorporée la chanson en
question et pour laquelle les titulaires de droits avaient
autorisé la reproduction et représentation.
À cette occasion, le tribunal de grande instance de Paris a
précisé "Il est acquis que l'exception de l'article
L122-5 CPI, ayant trait aux courtes citations, en matière
littéraire, portant dérogation au principe de nécessité de
l'autorisation préalable de l'auteur avant toute reproduction, n
'est pas transposable en matière musicale, pour diverses
raisons, dont une essentielle : l'impossible mention de la source
et du nom de l'auteur, condition sine qua non de la dispense de
consentement de l'auteur".
Lorsque, dans un cas d'espèce, l'une des conditions
d'application de l'article L122-5 CPI, en l'occurrence celle
apparaissant comme essentielle pour le tribunal de grande
instance, n'est pas remplie, le droit de citation d'une oeuvre,
qu'elle soit musicale ou autre, doit être effectivement
écarté. Par contre, lorsque toutes les conditions d'application
de ce même article Sont remplies, il n'existe a priori aucune
raison objective de refuser le droit de citation musical, quand
bien même ce dernier serait diffusé sur Internet, bien au
contraire, comme nous allons le démontrer.
En effet, l'apparition des nouveaux moyens de télécommunication
que sont les réseaux en ligne, incitent à notre sens, une
réflexion nouvelle sur l'existence du droit de citation. Nous
savons qu'aujourd'hui, Internet a pour principal but de
transmettre de l'information dans le monde entier. Si cette
information comporte des oeuvres protégées par les droits
d'auteur; ces derniers doivent bien entendu être respectés et
protégés. Néanmoins, S'agissant de site Web non payant dont la
seule finalité est de transmettre de l'information, il nous
paraît important de licéité largement le droit de citation
prévu par le CPI, au vu des nouvelles possibilités de respecter
les conditions d'application de l'article L122-5 CPI, qu'offrent
les réseaux en ligne.
Imaginons le cas d'un site Web dédié à la musique, contenant
une rubrique composée d'articles "critiques" destinés
à rendre compte des nouveautés musicales qui viennent de sortir
sur le marché. Cette rubrique proposerait aux utilisateurs, en
sus des articles portant une appréciation sur lesdites
nouveautés, de prendre connaissance d'un extrait de l'oeuvre
musicale considérée (environ 5 à 20 secondes), dont la source
(titre de l'extrait et de l'album dont il est tiré, nom de
l'auteur; du compositeur, de l'interprète et éventuellement du
parolier(4) serait clairement mentionnée.
Nous constatons en effet, que toutes les conditions d'application
de l'article L122-5 CPI, étoffées par la jurisprudence en
matière de citation littéraire, sont respectées en l'espèce
(I, 2, 3, 4).
1. Divulgation de l'oeuvre citée
Le droit de divulgation de l'oeuvre musicale citée est respecté
puisque la rubrique serait dédiée aux nouveaux albums
commercialisés sur le marché.
L'argument soulevé dans l'affaire Dutronc et autres c/ Musidisc,
cité ci-dessus (cf. 3.), selon lequel "l'utilisation à
des fins publicitaires (d'extraits musicaux) a pour effet de
changer la destination de l'oeuvre et relève par conséquent du
droit de divulgation de l'auteur" - ce à quoi le
tribunal de grande instance de Paris a donné raison - ne peut
être invoqué en l'espèce. En effet, l'oeuvre musicale est
citée dans un site Web non payant dédié à la musique et
offrant aux utilisateurs une rubrique rendant compte des
dernières nouveautés sur le marché en matière musicale et
comportant des articles critiques et/ou commentaires pertinents
quant à ces nouveautés. La destination de l'oeuvre n'est en
rien modifiée.
Tout autre serait le cas d'un site Web présentant aux
utilisateurs des extraits musicaux, en vue de leur vente
électronique par paiement sécurisé, dans le cadre d'un accord
spécifique entre les éditeurs des phonogrammes et la personne
morale réalisant et hébergeant le site sur son centre serveur.
Ce genre de site étant très fréquent aux États-Unis.
2. Indication des sources
L'indication des sources de l'oeuvre citée peut être respectée
grâce à la spécificité qu'offrent les services en ligne mis
à disposition sur Internet. En effet, le site Web considéré
dans notre exemple peut être assimilé à un petit journal en
ligne, permettant de lire des articles consacrés à la musique
et d'écouter en même temps un extrait musical. Ainsi, le titre
de l'extrait et/ou de l'album dont il est tiré, le nom de
l'auteur, de l'interprète et, éventuellement, du parolier sont
mentionnés clairement dans la rubrique à côté du lien
hypertexte sur lequel l'utilisateur pourra cliquer afin d'obtenir
du son.
3. Incorporation de la citation dans une
oeuvre seconde
La citation de l'oeuvre musicale est bien justifiée par le
caractère critique et/ou d'information de l'oeuvre à laquelle
elle est incorporée, puisqu'elle est intégrée à un site Web,
comportant une rubrique ayant, en premier lieu, un caractère
d'information et de critique visant non seulement à faire
connaître aux utilisateurs les derniers albums ou CD sortis sur
le marché, mais encore à commenter la qualité ou le contenu de
ces derniers par des auteurs de chroniques, Spécialistes en
matière musicale, sur le Web.
Un site Web est un service télématique (constitué de textes,
de graphismes d'images fixes ou animées, de son, etc.),
transformé en langage HTML pour sa mise à disposition des
utilisateurs de réseaux en ligne. Il s'agit bien d'une oeuvre
protégée par les droits d'auteur, une oeuvre d'un autre genre
que celui de l'oeuvre citée et ayant une existence propre en
dehors des oeuvres musicales qu'elle cite.
Il
ne s'agit pas de l'intégration d'un extrait musical dans une
oeuvre de même genre, très souvent pratiqué à ce jour et
dénommé "sampling" ou juxtaposition de sons,
soulevant le problème de la citation d'une oeuvre musicale dans
une autre oeuvre musicale, cette dernière poursuivant le même
but que l'oeuvre musicale elle-même(5).
4. La citation doit pouvoir être
qualifiée de "courte"
S'agissant de la brièveté de l'extrait, cette dernière doit
être appréciée en comparaison de la longueur totale de
l'oeuvre dont elle est tirée(6) et ne doit pas faire concurrence à cette dernière(7).
Cette notion de "courte citation" reste toujours
subjective et relèvera, le cas échéant, de l'appréciation des
juges. Toutefois, il nous semble probable que puisse être
qualifiée de courte une citation de 5 à 20 secondes tirée d'un
morceau de 4/5 minutes. L'extrait doit tout de même être
reconnaissable par l'auditeur.
Ainsi, cette première analyse des conditions d'application au
sens strict de l'article L122-5 du CPI relative à la courte
citation, démontre que chacune d'elles est remplie dans notre
exemple et qu'il n'y a, dés lors, pas lieu de refuser a priori,
sans même analyser au cas par cas, l'éventuelle application de
cet article au domaine musical.
Outre les conditions d'application de l'article L122-5 CPI,
d'autres "conditions", développées par la doctrine
dans le but de nier tout droit de citation dans le domaine
musical, ont été invoquées comme sous-jacentes à l'exception
accordée par le code de propriété intellectuelle en matière
de citation.
En
effet, certains soutiennent que la citation implique une
communauté de nature entre l'oeuvre à laquelle elle est
empruntée et celle, à l'intérieur de laquelle elle prend place(8). Par
conséquent, la citation d'une oeuvre musicale dans une oeuvre
d'un autre genre ne pourrait être admise.
Or; rien dans la rédaction de l'article L122-5 CPI, ne permet de
soutenir ce point de vue. La citation en matière littéraire
qui, elle, n'a jamais été contestée, peut s'inscrire dans une
oeuvre d'un autre genre (CD-Rom, oeuvre cinématographique, etc.)
sans que cela soit considéré comme un obstacle à l'application
de l'article L 122-5 CPI, dès lors, aucune raison objective ne
peut imposer cette exigence supplémentaire en matière musicale.
D'autres, ont encore estimé que le droit de citation en matière
musicale violerait le droit moral de son auteur parce que "l'extrait
musical donne une version mutilée, déformée de l'oeuvre"(9). Cette
opinion a été souvent soutenue sans démontrer pour quelles
raisons il y aurait violation du droit moral de l'auteur en
matière de citation musicale et non en matière de citation
littéraire. De plus, une citation est forcément une version
mutilée" puisque, par essence, elle ne reprend pas l'oeuvre
dans son ensemble, mais une petite partie de cette dernière. Si
ce point de vue devait être adopté, le droit de citation en soi
devrait être exclu pour cause de violation du droit moral de
l'auteur de l'oeuvre, quel que soit son genre, ce qui nous
paraît être une position radicale et extrême que le
législateur n'a pas voulu.
À l'heure de l'évolution des technologies, vouloir soutenir que
les droits d'auteur sont constamment bafoués, et ce, notamment
sur Internet, c'est faire preuve d'une méconnaissance de ce
nouvel outil qui permet au contraire de respecter toutes les
conditions d'application . de certaines dispositions portant
dérogation au principe énoncé dans le CPI.
De plus, s'agissant d'un site Web d'accès libre, c'est-à-dire
non payant, l'argument selon lequel le droit de citation
viendrait retirer à l'auteur la possibilité de percevoir une
rémunération proportionnelle aux recettes provenant de
l'exploitation de l'oeuvre à laquelle elle est incorporée, ne
peut être invoqué.
Afin de convaincre encore les derniers récalcitrants en la
matière, nous mentionnerons le fait qu'à ce jour il existe un
système permettant de diffuser du son sur Internet sans
téléchargement de ce dernier sur le disque dur de l'utilisateur
(cf. système Real audio <www.realaudio.com.>). Grâce à
ce système comportant un "encodage" de l'oeuvre,
apparaît automatiquement à l'écran, la mention du titre de
l'extrait, de l'auteur et du copyright. L'extrait musical reste
sur le serveur et l'utilisateur détient un fichier d'appel du
son lui permettant une écoute directe de celui-ci. Par
conséquent, étant donné qu'aucun téléchargement de l'extrait
musical sur le disque dur de l'utilisateur ne peut se faire, tout
réenregistrement de l'extrait est impossible. Ainsi le morceau
d'oeuvre musicale mis en ligne est protégé. Reste bien sûr; la
question de la qualité du son offert qui, souvent, laisse à
désirer.
Nous souhaitons dès lors, que soit menée une nouvelle
réflexion sur les droits de citation en général, au regard de
l'évolution des nouvelles technologies en matière de
télécommunication et des arguments soulevés ci-dessus. Loin de
vouloir bafouer les droits d'auteur sur Internet, nous souhaitons
au contraire apporter une solution à ce qui se fait déjà sur
les réseaux. En admettant un droit de citation dans certains cas
d'espèce précis, nous contribuons à ce que les auteurs de
telles citations respectent toutes les conditions d'application
de l'article L122-5 CPI et protègent ainsi l'oeuvre citée. Le
débat reste bien entendu ouvert.
Yasmine Kaplun - Conseillére juridique spécialisée en PLAI
Membre de Cyberler
Notes :
1.
Exception faite de l'affaire Fabris c/ Loudmer relative à la
reproduction d'oeuvres d'Utrillo dans des catalogues de
commissaires-priseurs - CA versailles 20 novembre 1991, D1992,
p.403 : « s 'agissant d 'oeuvres non littéraires, la courte citation
peut consister en une reproduction certes intégrale mait dans un
format assez réduit pour la ravaler au rang de la simple
illusion ». (retour)
2.
RIDA, octobre 1986. p.161. (retour)
3.
TGI l'aria (3e ch.), 10 mai 1996 - Jacques Dutronc et autres c/ Société
Musidisc. Observation Gérard Haas, Revue Alain Bensoussan -
Droit des Technologies avancées - n" 1/1997. (retour)
4.
Mémoioe de M. A. Valette "le Droit de Citation en matière
musicale" DEA de PLAI 1995 sous la direction de M. A.
Françon. (retour)
5.
Memoire de M Stéphane Colombet "Le. Sarnpling" DEA de
PLAI 1995 96 sous la direction de M P.Y. Gautier (retour)
6.
Tribunal de grande instance de Seine (3e ch.) 17 juin 1964, JCP
1964.3787 / Guide de la Convention de Beme § 10-4 écrit par M.
Claude Massouyé. OMPI 1978. (retour)
7.
Guide de la Convention de Beme § 10-4, écrit par M.. Claude
Massouyé, OMPI 1978. (retour)
8.
Desbois, "Le droit d'auteur en France", 3e édition,
Dalloz 1978, n° 249. (retour)
9.
Pollaud-Dulian (F.), Jurisclasseur, Propriété intellectuelle et
artistique, fasc. 317, n° 64. (retour)